« Les Européens ne comprennent plus ces choses. Ils doivent réapprendre ce que signifie s’exiler pour survivre. »
Fabrice Loi
Vous appréciez nos comptes-rendus, vous souhaitez nous soutenir mais vous n'avez pas la chance d'habiter aux alentours de Vaux-le-Pénil, tout n'est pas perdu ! Vous pouvez commander l'ouvrage de votre choix sur le site LesLibraires et choisir Vaux Livres comme librairie indépendante. Nous nous ferons un plaisir de vous livrer au plus vite. Nous comptons sur vous. |
Gustavo RODRIGUEZ
Eufrasia Vela et les sept mercenaires
L'Observatoire
7 | 280 pages | 01-09-2024 | 21€
en stockEufrasia travaille en tant qu’aide à domicile à Lima. Elle a un garçon et est très proche de sa sœur, infirmière. Eufrasia est particulièrement appréciée des personnages âgées dont elle s’occupe. Elle est aussi proche de ceux qui vivent seuls dans leur appartement que ceux qui ont rejoint un établissement spécialisé et forment un groupe, les sept mercenaires, disparate mais uni. Il faut dire qu’elle est attentionnée, aimante, dévouée, prête à tout pour que leur fin de vie correspondent le mieux à ce qu’ils souhaitent. Ces retraités gardent tous leurs esprits (même si le Chleuh et le Rosbeef --ie Alzheimer et Parkinson-- ne sont jamais très loin) mais l’usure de la vie est là. Ils continuent de vivre par habitude, et une lassitude répétée peut parfois leur faire espérer en un repos bien mérité. Mais mourir seul n’est pas aisé et qui mieux qu’Eufrasia pour les aider ? Comment Eufrasia vivra-t-elle et acceptera-t-elle ce geste singulier ? Et s’est-elle posée la question de ce qu’elle fera lorsque son heure arrivera ? Avec humanité, légèreté et même humour, Gustavo Rodriguez aborde la question de la liberté ultime, du droit de mourir, d’en finir avec la vie, en toute conscience au moment et dans le lieu choisis.
« …elle savait qu’à un certaine âge, il y a des blessures qui ne dépendent plus du calcium, ni de quoi que ce soit d’autre figurant dans le tableau périodique des éléments. »
« Deux personnes qui chantent ensemble spontanément atteignent une intimité aussi brève que difficile à reproduire… »
« … les vieux ressemblent aux enfants non seulement pour ce qui est de l’incapacité à se défendre, mais aussi parce qu’ils ont besoin d’adultes actifs qui se battent pour leurs droits. »
« C’est peut-être cela, vieillir, pensa-t-elle. Chaque portion de temps à affronter devenait une fraction de vécu de plus en plus minime… »
« La plupart des gens n’ont pas le loisir de penser, ils doivent travailler et travailler encore, voilà pourquoi il n’y a pas beaucoup de pauvres chez les philosophes. »
« Le mensonge est très utile à la survie sociale : voilà pourquoi les animaux ne mentent pas : leur socialisation ne dépend pas des discours. »
« A notre âge, Eufrasia, la mort est une étoile qui brûle déjà. »
« Qu’est-ce que je ferai quand tu me manqueras ? demanda-t-il. Cherche-moi dans d’autres rires. »
Fiche #3243
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Margot Nguyen Béraud
Printemps 1945, côtes varoises, la guerre se termine, la vie pointe son nez, mais les Allemands, sur le départ, ont laissé des millions de mines, obstacles à une nouvelle existence apaisée. Alors il va falloir déminer, des hommes avec leurs vécus de guerre s’y collent la peur au ventre, Français et Allemands, toujours jeunes. Certains ont résisté, d'autres non, ont été prisonniers, d’autres ont combattu, d'autres non, beaucoup ont perdu des proches. Tous aspirent à retrouver une certaine normalité, à trouver leur place dans un nouveau monde. Peu à peu, dans la peur, la tension, dans le travail, certains vont se rapprocher : « Cette guerre avait été une transgression totale et barbare, et, pourtant, s’esquissait déjà, au sein même de ces groupes de déminage, l’idée d’un avenir commun aux pays d’Europe. » Parmi eux, Vincent, médecin, recherche Ariane, son amour disparu en 1944. D’autres guettent l’instant propice pour s’échapper. Tous ont croisé la mort, et parfois peinent à comprendre pourquoi, eux, sont restés vivants : « Maintenant, on est tous pareils, pour l’essentiel. On a nos morts, on aimerait revenir au monde d’avant. Et on doit apprendre à vivre maintenant… ». Un premier roman époustouflant qui, avec une superbe palette de personnages, dans les derniers sursauts de la guerre décrit une romance émouvante et bouleversée par le conflit, le début de l’abandon de la haine et les prémices d’un rapprochement entre des camps qui se sont affrontés au-delà de l'imaginable. Reconstruire pour vivre, ensemble.
Premier roman
« … il n’y a que pendant la guerre qu’on voit, de manière aussi crue, le pire de l’être humain. Mais c’est aussi pendant la guerre et seulement là, que certains atteignent le sublime. »
« … on ne connaît la valeur d’un être humain qu’au travers des épreuves. »
Fiche #3152
Thème(s) : Littérature française
DF est un pays où toute singularité a disparu. L’égalité s’est muée en uniformité (« ... tout ce qui n’était pas commun, était interdit et la beauté est une sorcière qui t’égare dans la forêt... la beauté était interdite à DF... »), plus d’émotion (un vaccin l’assure), plus de sentiments, plus de couleurs, la culture disparaît, seul le sport reste, les personnalités s’effacent et rentrent dans le moule avec obéissance. La société est sous contrôle (« ... un gouvernement serein qui pouvait se permettre de tout décider, même la forme et l’épaisseur des pensées... »), l’humain est sous contrôle et manipulé médicalement, le mensonge et l’hypocrisie règnent, la peur produit ses effets, peur de perdre son petit confort, sa tranquillité, l’engourdissement est généralisé, éviter les soucis pour le train train d’une vie grise sans poser de questions. Andrea Bussoli est le président, le quatrième de sa famille. Le pouvoir est en effet accaparé par une caste et se transmet de père en fils. Quelques résistants dans la clandestinité restent isolés, la lutte est périlleuse, les gains minimes et les évènements organisés par le pouvoir annihilent chaque petite victoire. Un roman d’anticipation angoissant, qui fait froid dans le dos, un avenir tragique annoncé par quelques signes avant-gardistes mais aussi par le passé.
« ... mais les élections ne sont pas nécessaires dans un pays où le sentiment de liberté n’existe pas, où l’inhibition sentimentale n’existe pas, où les besoins n’existent pas. »
« Vous voulez raconter une histoire à des gens qui ne comprennent pas votre langue. »
« On ne livre pas des batailles en fonction des probabilités de victoire, on livre des batailles parce qu’elles sont justes. »
« ... ils attendraient donc, qu’on s’occupe de sa sécurité et de la sécurité de tous mais d’abord de la sienne, de laisser ramper le désespoir, laissons monter le désespoir, à la fin nous mangerons l’espoir et les terroristes avec, les gens ont une foutue peur de se sentir bien quand pendant des années ils n’ont rien senti, ils confondent pour la plupart le calme et le néant, ainsi on s’y retrouve. »
Fiche #3078
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Lise Caillat
A soixante d’écart, L’heure des oiseaux » croise deux récits dans un même lieu, l’île de Jersey mais sur deux temporalités. En 1959, un orphelinat accueillait des enfants et les adultes pouvaient une nouvelle fois laisser libre court à leur cruauté. Parmi ces pensionnaires, Lily et le Petit étaient liés par un amour puissant et Lily protégeait, entourait de son affection, le Petit. Face à la cruauté constante des adultes, Lily trouvait refuge dans la nature de l’île, parmi les plantes et les fleurs, la forêt et les animaux et surtout, en écoutant les chants des oiseaux. Soixante ans plus tard, une jeune femme accoste à Jersey avec l’intention d’en savoir plus sur l’histoire de son père. Et évidemment, elle va dans un premier temps se heurter au mur du silence. Les secrets restent bien enfouis dans la mémoire commune, beaucoup savaient, personne n’a rien dit ni fait à part l’ermite honni de tous et ces secrets vont progressivement se dévoiler. Un court texte prenant qui aborde à nouveau la maltraitance des adultes sur les enfants démunis mais ici, le sordide de l’orphelinat s’oppose dans un contraste puissant au cadre idyllique de Jersey, un paradis fiscal adoré des touristes (« Sous les banques et les tapis de primevères dorment le sang, les larmes et les anciennes peurs. L’île aux Fleurs cache la mort dans ses entrailles. »), mais aussi à l’éblouissante relation entre Lily et le Petit et au style doux, délicat et poétique de Maud Simonnot.
« ... des chants d'oiseaux... c’était un peu comme d’avoir la chance d’entendre des langues anciennes que plus personne ne parlerait. »
Fiche #2921
Thème(s) : Littérature française
Entre les années 40 et aujourd’hui, dans Les danseurs de l’aube, deux couples de danseurs se répondent, se font face, dialoguent autour de leur art mais aussi des évènements de chaque période, deux histoires intimes qui s’entremêlent au cœur de l’Histoire. La danse n’est pas anodine, le flamenco et la musique qui l’accompagne : une danse qui bouscule, une danse de liberté qui « brise les chaînes », une danse pour exprimer l’amour, la passion, la grâce, une danse violente, faite aussi de colère, virevoltante, où les corps se déchirent, se dressent et crient, une danse brûlante, de feu et de vie. Ces deux couples vont éprouver la difficulté de vivre dans la différence. Sylvin et Maria Rubinstein, frère et soeur juifs (ils ont existé), ont fui la Russie avant de découvrir le flamenco et être reconnus dans le monde entier. Mais la seconde guerre brise leur destin, Maria disparaît et Sylvin doit endosser ce destin pour deux et il s’y engagera sans retenue, affrontant tous les périls aussi bien face aux Allemands et que sur la scène. A Hambourg, en 2017, Lukas, jeune homme trouble toujours en quête de sa véritable identité rencontre Iva une belle et sauvage Hongroise en fuite et leur couple produit une danse respectant la tradition du flamenco mais innove également dans un flamenco passionné, brûlant et explosif ne laissant pas indifférent… A cent ans d’intervalle, racisme, intolérance, peur de l’autre, de la différence restent présents et puissants et ces jeunes danseurs y feront face, résisteront avec courage et volonté, notamment en dansant, avec leurs corps, leurs cris, les bras levés, la tête bien droite, volontaires, jusqu’au bout.
« La zone trouble entre le bien et le mal se révèle plus étendue qu’il ne l’imaginait. Ce n’est pas une simple ligne, c’est un pays entier. Un continent. »
Fiche #2671
Thème(s) : Littérature française
Thibault BÉRARD
Il est juste que les forts soient frappés
L'Observatoire
2 | 297 pages | 30-12-2019 | 20€
Sarah a toujours su garder l’âme de la punkette qu’elle fut, rebelle et libre, la preuve, même morte, elle continue de nous raconter sa vie. Elle a vécu une véritable idylle avec Théo, alchimie immédiate, ils firent la route ensemble. Un premier petit garçon, puis une petite fille alors qu’ils avaient déjà appris la terrible nouvelle. Sarah était malade, gravement malade, atteinte par un cancer à la progression rapide. Elle dont le leitmotiv qui horripilait Théo était « Moi je vais crever avant quarante ans, de toute façon » allait devoir lutter. Et pour cela elle était bien entourée. Par Théo évidemment mais aussi par de nombreux amis qui interviendront à la hauteur de leur possibilité. Elle revient sur l'épreuve qu'est la montagne russe que fait vivre le cancer, soins, rémissions, espoir, fatigue extrême, ras-le-bol, angoisse, résister, continuer de vivre, de lire, de chanter et de rire, ne pas se laisser abattre et combattre, Sarah et Théo sont forts mais « …même les forts s’effondrent lorsque les coups s’accumulent. » Un émouvant et bouleversant récit entre rires et larmes où la vie reste le personnage principal et « Toutes les vies sont des aventures extraordinaires… »
Premier roman
Fiche #2458
Thème(s) : Littérature française
Ces rêves qu’on piétine réussit le tour de force de retracer en parallèle les derniers jours de Magda Goebbels et des survivants et morts des camps de concentration : le point commun de ces récits est la folie extrême, la folie inhumaine et destructrice. Dans les camps, au cœur de cette folie et de la violence sans limite, la lutte pour la survie est permanente et on suit en particulier Ava, une petite fille qui détient secrètement les lettres d’un père à sa fille. Quant à elle, Magda Goebbels continue de préférer oublier Richard Friedländer, son beau-père adoré, juif, qu’elle abandonnera et laissera mourir dans un camp. Elle avait d’autres ambitions, d’autres rêves, le pouvoir l’aimantait, elle acceptera tout de Joseph Goebbels pour approcher ce pouvoir puis devenue invulnérable, s’y installer, jusqu’à ces derniers jours, où elle emportera avec elle ses enfants. Sébastien Spitzner réussit à donner corps à l’Histoire, à l’incarner en établissant un équilibre parfait entre fiction et histoire. Ses descriptions très réalistes sont naturellement absolument terrifiantes, mais il réussit en croisant les deux récits à la fois à nous déranger et à nous entraîner.
Premier roman
Fiche #2023
Thème(s) : Littérature française
- Rodriguez - Deya - Cavalli - Simonnot - Charrel - Bérard - Spitzer